1900 débute en mineur | FR

La situation du marché est morose et le syndicat des ouvriers diamantaires sait que leur projet d’imposer les 8 heures de travail est pour le moment utopique. La caisse est vide, le moral est sous zéro suite au dernier échec.

Comment refouler des caisses vides ? Les cotisations ne permettent pas de résister à une période trop longue de chômage encore moins d’une grève. L’idée est de lancer un nouveau projet cette fois lucratif. Le syndicat décide ainsi en commun accord avec le parti socialiste, qui lui fait un prêt, d’ouvrir une boulangerie. La coopérative reçoit le nom d’Adamas (comme d’habitude) et un terrain est acheté en face de la maison communale de Borgerhout, dans la banlieue anversoise (plus tard racheté par la commune pour y installer son bureau de police et ses pompiers).

Le bâtiment fut rapidement érigé, les machines et les fours installés, mais malgré les dons des membres, du capital investit il ne resta plus un centimes pour l’achat de la farine. « Nous voilà avec un beau bâtiment fonctionnel, des belles machines mais plus d’argent pour acheter la matière première » conclu le président Louis De Cock. Une fois de plus un élan de solidarité sauva le projet, le président déposa les bijoux de sa femme au mont-de-piété pour obtenir un prêt.

L’exemple fut suivi par des dizaines de tailleurs qui vinrent déposer leurs maigres épargnes et bijoux de familles, le tout pour faire réussir leurs rêves. Le diamantaire Louis Coetermans connu pour sa largesse y apporta le restant. Le samedi suivant la farine fut livrée contre argent comptant, le dimanche les premiers pains sortirent du four sous les yeux émerveillés de dizaines de tailleurs et le lundi, les chariots pouvaient livrer le pain de la coopérative dans la ville. Mais la première journée fut catastrophique, la plus grande partie des commandes fut refusée pour l’une ou l’autre raison. Malgré tout, grâce à leurs persévérances le projet pris forme et devint lucratif, si bien qu’il fut à la base de la caisse d’allocation de chômage pour les tailleurs de diamant. Cette initiative fut suivie par la ville d’Anvers ainsi que par d’autres secteurs ouvriers et finalement par l’état.

Encourager par son succès le syndicat des tailleurs se lance vers un autre aspect dans cette société du début du 19e siècle, l’analphabétisme est presque général. 60% des miliciens enrôlés dans l’armée belge étaient des illettrés, la situation dans les autres pays européens n’était pas plus brillante. Les apprentis de 11 à 13 ans reçurent grâce à l’initiative du syndicat l’occasion de suivre gratuitement des cours du soir afin de pouvoir apprendre à lire et à écrire, malheureusement ils étaient souvent obligés de rester travailler à la taillerie jusqu’à 19 h ou même plus tard pour des travaux de nettoyages ou d’entretiens. Si les premières semaines connurent malgré tout un succès évident, au fil des mois les gosses abandonnèrent. Personne n’osa les critiquer, exiger des gosses des heures supplémentaires d’étude, enfermés dans une classe, après une lourde journée de 10 heures dans une taillerie était trop demandé.

Mais une nouvelle menace apparaît pour le syndicat, l’installation de taillerie à vapeur dans la campine anversoise. Les patrons exacerbés par le dictat du syndicat trouvent une région non « contrôlée » à une trentaine de kilomètres d’Anvers. Là ils peuvent, avec l’aide de quelques tailleurs chevronnés, embauchés comme instructeurs, construire des tailleries et engager des apprentis comme bon leurs sembles. Les heures de travaille journalier sont libres, la semaine de 7 jours applicable car dans cette région rurale et pauvre tout salaire est le bienvenu même le plus minime.

Si, d’une part, les ouvriers étaient en majorité syndiqués, le patronat n’avait aucune représentation, le chacun pour soi était la règle. Cette situation était naturellement difficile pour le syndicat qui devait négocier avec des dizaines de patrons au lieu d’une représentation patronale. Pour cette raison, le syndicat prit contact avec le plus important diamantaire de l’époque, Louis Coetermans, afin de le persuader de créer avec ses collègues un groupement patronal, cette initiative fut pourtant un tiède reçue.

En cette période, le gouvernement et la justice approuvaient les syndicats dans leur travail social, fêtes foraines, écoles du dimanche ou l’aide au plus démunis. Par contre l’ingérence dans l’organisation ou l’évolution sociale dans l’entreprise était exclue et même poursuivie lorsqu’il y avait des suspicions de semer des troubles.

Une grève éclate lorsqu’un fabricant décide d’engager un apprenti, le syndicat invite les ouvriers pour un meeting dans la salle Conscience, Kievitstraat. Mais dans la salle comble se trouvent aussi les représentants de la loi ! Lors de la distribution des tractes aux participants, celles-ci sont immédiatement saisies par la police. Les trois leaders syndicaux (le « trio rouge » voir article précédent) sont arrêtés sous l’inculpation du fameux article 310 et doivent comparaître devant le tribunal. L’inculpation est une fois de plus l’obstruction à la liberté au travail. Les trois comparaissent enchaînés en juin 1902 devant le Juge pour entendre la sentence, devant un auditoire de diamantaires satisfait et de tailleurs affectés. Ils reçoivent respectivement 6 mois pour le président et 3 mois pour le secrétaire et le trésorier. La presse et l’opinion publiques est favorable à cette décision trouvant les actions du syndicat dictatorial et discriminatoire.

Les patrons anversois et amstellodamois comprennent que finalement il faudra s’unir contre cette puissance syndicale qui augmente au fil des années et décident de créer « l’Association des bijoutiers ».

Une collaboration étroite entre patrons sur le plan social démarre avec enthousiasme et lorsque les patrons reçoivent un refus de la part du syndicat à leurs deux exigences, concernant la liberté d’engager des apprentis et la liberté des heures de travail, les patrons décident d’un lock-out, et tous les ouvriers sont sur le carreau.

Malheureusement pour eux, les conflits d’intérêts des négociants, même le racisme et les idéologies refont surface si bien que des failles se forment dans l’association. Entre temps le président du syndicat termine sa peine ayant perdu 20 kilos, il est libéré à 5 heures du matin de sa cellule éclairée à la bougie et sans chauffage, il remet son gobelet en fer, mais garde le sachet souvenir avec les vers qu’il a recueillis dans sa soupe au courant des 3 mois de détention. Le dimanche suivant, il est reçu comme un héros dans la salle de l’hippodrome devant quelques milliers de sympathisants les larmes aux yeux, d’Anvers mais aussi venu d’Amsterdam chantant l’internationale. Des dizaines de gosses lui offre des fleurs devant une foule exaltée sous des acclamations enthousiastes. Toute la ville fut en liesse, des fanfares et un cortège impressionnants clôtura cette journée mémorable.