Couverture du journal de l'ADB | FR

Début 1904 la hache de guerre n’est toujours pas enterrée entre les diamantaires et les syndicats ouvriers. D’une part le syndicat ADB qui reste sur ses revendications : soit l’interdiction d’engager des apprentis, diminution des heures de travail à 9 heures par jour, abolition du travail à la pièce et l’obligation pour les tailleurs d’être syndiqués.

D’autre part le patronat décide d’engager 1000 nouveaux apprentis ce qui est indiscutable pour le syndicat, sachant que le secteur n’était au fond que vraiment actif vers la fin de l’année lors des fêtes. Beaucoup de tailleurs étaient ainsi en cette période du début du XXe siècle plutôt des travailleurs saisonniers ayant un second métier.  
 
La taillerie patronale devant former les apprentis ne connut pas le succès espéré car la réputation du secteur diamantaire était tombée au plus bas. Seulement quelques dizaines de tailleurs furent formés. Lorsque « la taillerie de diamant populaire », Van Immerseelstraat, actuellement devenue bâtiment administratif de la ville, comprenant 600 moulins, et qui était aussi la plus importante, tomba sous le contrôle du syndicat avec l’aide de l’ANDB (syndicat d’Amsterdam) le patronat anversois décida un « lock-out ». Ne recevant plus de diamant brut à tailler le syndicat se retrouva avec une taillerie vide et surtout lier à un loyer mensuel exorbitant. Le syndicat d’Amsterdam vint une fois de plus à la rescousse de leurs frères anversois, envoyant quelques centaines de tailleurs de diamant avec leur matériel. C’est dans une ambiance de fête qu’ils furent reçus à la Gare Centrale. Un cortège hétéroclite avec fanfare et chariots remplis de matériel de taille (un tailleur de diamant possède toujours son propre matériel, loupe, différentes pinces et accessoires) conduisit les tailleurs amstellodamois au chant de l’internationale vers l’usine louée par l’ADB. Devant cette démonstration de force syndicale internationale le « mur » des patrons diamantaires commença à se lézarder. Certains patrons voulaient rester sur leurs positions avec e.a. l’argument « pourquoi un ouvrier diamantaire doit-il gagner plus qu’un maçon ou un débardeur ? », d’autres désirant une paix sociale.  
 
Si le syndicat avait pu sauver l’usine, la grève n’était pourtant pas terminée. La presse ne manqua pas de jeter de l’huile sur le feu argumentant que les épouses et les mères en avaient assez de cette grève qui n’apporta que la misère. Le défit fut relevé par le syndicat qui invita la presse à venir organiser et contrôler un vote. Le meeting eut lieu dans l’énorme salle de l’Hypodrome où seulement les épouses et les mères furent admises. Les hommes durent rester dehors. Après un bref compte-rendu de la situation, le président demanda si les mères et les épouses étaient prêtes à subir des sacrifices supplémentaires en continuant la lutte. Une ovation spectaculaire fut la réponse seulement 3 bulletins blancs furent remis, toutes étaient solidaires avec leurs époux et ou leurs fils. 
 
Le gouverneur de la province d’Anvers prit l’initiative d’organiser une réunion de conciliation, si une première réunion échoua, vu la situation désastreuse aussi bien pour le syndicat qui voyait ses réserves fondre comme du beurre au soleil que pour le patronat, ne pouvant plus livrer à leurs clients bijoutiers, il fallait sortir de l’impasse. Finalement un compromis fut signé : 9 ½ de travail, 300 apprentis seront engagés, dont la moitié choisie par le syndicat et la moitié choisie par le patronat et la commission paritaire est créée et restera active jusqu’à ce jour.  
 
Cette première coopération entre les syndicats des deux centres diamantaires a été à la base de la création de l’internationale des ouvriers diamantaires qui allait regrouper la Hollande (Amsterdam), l’Allemagne (Hannau et Idar), l’Angleterre (Brighton et Londres), l’Amérique (New York), la Belgique (Anvers) et la France (Paris et Saint Claude). 
 
1905 fut une année d’abondance grâce à l’ouverture de la fameuse mine Premier, non seulement elle livra le prestigieux Cullinan, mais aussi des grandes quantités de diamants bruts qui furent transportées vers Anvers et Amsterdam pour êtres taillées créant non seulement des emplois mais aussi des hausses de salaires jamais encore égalés. Le syndicat anversois ayant donné l’exemple d’autres secteurs suivirent, ainsi une grève se déclara dans la firme Bell Téléphone suivie de la grève des maçons, dans chaque cas, l’ADB, devenu puissant, donna son appui financier. Le soutien le plus spectaculaire fut sans aucun doute « les enfants adoptifs de Verviers ». Une grève se déclara dans le secteur du textile à Verviers près de Liège, suivie d’un « lock-out » des patrons. La caisse de résistance des ouvriers était presque vide lorsque l’ADB proposa aux ouvriers verviétois en plus d’une aide financière d’alléger les grévistes de leurs charges familiales en plaçant leurs enfants temporairement dans des familles adoptives anversoises. Cette opération reçu une réponse inespérée de la presse et de la population anversoise et verviétoise.  
 
En septembre 1906 un train spécial avec plus de 600 gosses entra vers 18 heures en gare d’Anvers. Les parents adoptifs (des familles de tailleurs) qui s’étaient portés candidats furent réunis dans une salle de cinéma où le syndicat essaya tant bien que mal d’organiser des contrôles à des fins administratives. 
 
Lorsque le train entra en sifflant dans un nuage de vapeur et de fumée une marée humaine jubilant les attendait. Les responsables du syndicat aidé par la police devaient former une haie pour protéger les enfants de la cohue, la traversée au travers de la foule de badauds enthousiastes amassés le long des boulevards fut pénible. Des soldats de l’armée se tenant bras dessus bras dessous durent retenir les milliers de sympathisants voulant saluer les enfants, les rues le long du parcours étaient fermées à toute circulation. Avenue de Keyzer un grand panneau illuminé brilla de tout feu, en français « Honneur aux Diamantaires Anversois ». Devant la salle où les parents adoptifs attendaient une foule encore plus dense s’était amassée. La police dû se fraye un chemin au sable clair au travers de ce mur humain, des vitres se brisèrent sous la pression de la foule, toujours sous la joie et les acclamations. Une fois réfugiés dans la salle, les gosses purent se régaler de toutes sortes de sucreries et de pâtisseries en abondance préparées par les mères et les épouses des tailleurs. Après avoir rempli les formulaires nécessaire les parents adoptifs (ils y en avaient bien plus que d’enfants) purent emporter leurs protégés. Les dimanches suivants, les anversois virent les gosses se promener sur les boulevards avec leurs parents adoptifs, tous remis à neuf, venu en haillons quelques jours plus tôt ils étaient devenus méconnaissables. Bien que la plupart des parents adoptifs ne comprissent pas un mot de Français, ce ne fut nullement un obstacle, car la langue du cœur est internationale. 
 
La grève à Verviers dura 6 semaines et se termina par une victoire des ouvriers du textile. Le retour des enfants dans un train spécial connu lui aussi un air de fête, la plus grande partie des tailleurs de diamant était présente, le cœur gros, venu salué les gosses, les parents adoptifs voulurent les accompagner jusqu’à Verviers. 
 
Verviers était en liesse pour accueillir leurs enfants, des arcs de triomphe de fleurs et des slogans « Bienvenue et gloire aux tailleurs de diamant anversois » étaient montés tout au long du parcours de la gare à l’hôtel de ville où le bourgmestre et les échevins accueillirent les enfants et leurs parents adoptifs. 
 
L’épilogue de cette belle histoire est que quelques dizaines d’enfants retournèrent avec leurs parents adoptifs à Anvers pour parfaire leurs éducations. Plusieurs y restèrent définitivement suite à un choix de société mais principalement suite à un mariage quelques années plus tard.